
Chanteur engagé et figure du blues français, Bill Deraime a marqué plusieurs générations avec sa voix éraillée et ses textes humanistes. Du folk militant des débuts aux plus grandes scènes, retour sur le parcours d’un artiste libre et sincère. Découvrez son histoire dans l’émission « Portrait » sur Blues Actu Radio.
📻 Portrait : 1re partie 👇
PORTRAIT 5 – BILL DERAIME, part 1 – Mike Lécuyer
Aux origines d’une vocation
Alain Deraime, dit Bill Deraime, est un musicien français, chanteur et guitariste de blues, né le 3 février 1947 à Senlis (Oise).
Dans son école catholique, il s’ouvre à la spiritualité. En cours d’anglais, il découvre le gospel, le blues et le folk grâce à un prêtre qui crée une chorale de gospel avec ses élèves… Après une année de médecine (à Amiens) et de kiné, il vient vivre à Paris en 1968. Avec Florentine, qui deviendra sa femme, ils commencent à jouer aux terrasses des cafés et dans les hootenannies du Centre américain du Bd Raspail avec un premier groupe nommé Wandering. On le surnomme Bill car il chante souvent des morceaux de Big Bill Broonzy. Le Révérend Gary Davis, Pete Seeger et autres folk songs sont aussi à leur répertoire…
En 1969, il fonde le TMS Folk Center, qui propose chaque jeudi une aide aux toxicomanes et un concert. Au début des années 1970, sa spiritualité l’emmène jusqu’en Amérique du Sud, où il va aider des amis de Médecins sans Frontières. Ensuite, il fera partie de l’association Les Morts de la Rue.
En 1973, Bill participe à la création du Backdoor Jugband, qui enregistre le 33 tours In the evening avec Alain Giroux (guitare), Laurent Gérôme (banjo, kazoo), Jean-Jacques Milteau (harmonica) et bien sûr Florentine (cuillers et planche à laver).
Trouver sa voix… en français
Amateur de la chanson française, de sa langue et de ses grands représentants comme Édith Piaf, Jacques Brel, Claude Nougaro… il décide de composer en français car son anglais n’est pas parfait et surtout, il se rend compte que la plupart des gens qui l’écoutent au centre de post-cure thérapeutique rural, où il est éducateur, ne comprennent pas ce qu’il chante en anglais.
Bill écrit ses premiers textes en français sur des cantiques de style gospel qu’il enregistre avec Florentine sur le 45 tours Bill et Flo – Louanges à notre Dieu en 1977. Cette expérience, mêlant musique et spiritualité, rapproche Bill des bluesmen américains qui ont souvent commencé à chanter du gospel dans les églises avant de se tourner vers le blues…
Bill cherche la « bonne formule », d’abord en groupe de blues électrique (Cargo), puis en trio avec Christian Lancry et Jean-Jacques Milteau, pour enfin trouver sa voix, qui est douce quand il parle mais devient puissante et vindicative quand il chante ce qu’il ressent sur le monde : souffrance, misère, injustice, pauvreté… C’est le début d’une longue et belle série de compositions en français qui se concrétise par un premier album chez Argile – RCA, qui paraît en 1979 : Bill Deraime, avec C’est dur, Baba boogie, Sur ma chaîne bon marché et Mean old blues.
Les années fastes
Pour l’album suivant intitulé Plus la peine de frimer en 1980, on retrouve quelques musiciens du premier disque comme Christian Lancry (guitare), Jean-Yves D’Angelo (claviers) et Jean-Jacques Milteau (harmonica), mais aussi Christophe Deschamps (batterie), Roland Lucot (basse) et Mauro Serri (guitare), ainsi que Luther Allison, invité sur un titre : Plus la peine de frimer, Le chanteur maudit, Je m’ sentais mal, Un dernier blues…
Et son premier tube Faut que j’me tire ailleurs lui ouvre les portes des radios et télés, passant même au célèbre Collaro Show sur Antenne 2.
Période faste pour Bill Deraime, qui publie en 1981 son 3e album en 3 ans, Qu’est-ce que tu vas faire, toujours chez Argile / RCA, avec des titres qui deviendront des « classiques » : Laisse-moi une chance (que reprendra Johnny Hallyday deux ans plus tard), Qu’est-ce que tu vas faire, Bye Bye Mister Blues et son nouveau tube Babylone tu déconnes, qui deviendra sa chanson la plus connue du grand public.
Une voix à part dans le blues hexagonal
Pour les albums suivants, c’est Lionel Gaillardin qui assure les parties de guitare solo. Tout d’abord Entre deux eaux, qui paraît en 1982, où Bill Deraime parle de ses troubles bipolaires (à l’époque on disait maniaco-dépressif).
Plus d’une centaine de concerts l’amène jusqu’à l’Olympia en 1983, où Bill enregistre un double album En concert à l’Olympia. Mais Bill n’est pas fait pour les paillettes et le star-system, et ce tourbillon médiatique le met mal à l’aise… Il s’ensuit une période de plusieurs années où il se mettra régulièrement en retrait des médias, ce qui ne l’empêche pas de publier en 1984 l’album Fauteuil piégé, où l’on perçoit un Bill Deraime bien désabusé dans les textes de Cours, cours, Le mur, Dialogue de sourds ou encore Loser…
Le showbiz s’est pris d’affection pour les blues de Bill et sa belle voix éraillée, jusqu’à Johnny Hallyday, qui reprend Laisse-moi une chance en 1983 sur son album Entre violence et violon, et l’invite avec ses musiciens à la télévision pour reprendre en duo un medley mémorable : Faut que j’me tire ailleurs / Toute la musique que j’aime !
Mais le succès commence à lui peser, ou plutôt tout le cirque qu’il y a autour du show-business. Alors Bill, « Qu’est-ce que tu vas faire ? ».
📻 Portrait : 2e partie 👇
PORTRAIT 6 – BILL DERAIME, part 2 – Mike Lécuyer
La suite des aventures de Bill a lieu en 1985 avec l’album Énergie positive qui voit le retour de Mauro Serri aux guitares (après avoir accompagné Eddy Mitchell).
En 1987, Bill fait un nouveau break dans sa carrière avec le 33-tours La porte, avec un saxophoniste, un percussionniste et Chris Lancry à la guitare. Ce disque sera réédité en CD en 1991 avec une pochette différente.
C’est en 1989 que Bill Deraime fait son grand retour avec l’album Toujours du bleu et son tube Sur le bord de la route, adaptation du célèbre Sittin’ on the dock of the bay composé par Steve Cropper et Otis Redding. L’éditeur français faisant barrage pour l’autorisation, Bill et Florentine ont réussi à trouver le contact direct avec Steve Cropper et sont allés le voir à Nashville pour lui faire écouter l’adaptation en français. Après écoute et traduction des paroles, tout le staff s’est levé et a applaudi. Steve Cropper a ensuite demandé à son avocat de régler le problème directement avec l’éditeur français.
Aux alentours des 10 ans de carrière ou du 10e album, les artistes se voient souvent proposer un Best Of ou Florilège. Pour Bill Deraime, c’est en 1990 que sort en CD l’excellente compilation Mister Blues chez RCA.
Enregistré en partie aux États-Unis, le disque La Louisiane, en 1991, mélange blues, boogie et reggae, et bien sûr une petite ambiance Nouvelle-Orléans.
Et toujours, l’engagement !
Après un nouvel album live en 1993, Bill va donner la parole aux exclus, aux pauvres et autres oubliés de la société et transmettre l’espérance à travers ses convictions chrétiennes.
Entre deux tournées, il explore encore et toujours sa veine blues-reggae avec 3 albums :
- En 1994, avec l’album Tout recommençait.
- En 1999, avec l’album Avant la paix, qui ressort en 2000 sous le titre C’est le monde, avec une nouvelle pochette et un morceau supplémentaire. À noter que le morceau La Collectionneuse est l’unique morceau original dont la musique n’a pas été composée par Bill, mais par Mauro Serri. On écoute aussi le très bon Veux-tu de ma médecine.
- En 2004, avec l’album Quelque part, qui propose une nouvelle version de « Babylone tu déconnes » et un super titre « Esclaves ou exclus ».
📻 Portrait : 3e partie 👇
PORTRAIT 7 – BILL DERAIME, part 3 – Mike Lécuyer
Nous poursuivons l’exploration de sa discographie avec un album live (son 3e) enregistré au New Morning et qui paraît en 2005. « Maniaco dépressif » c’est toute la vie de Bill qui défile avec sa mère et son père. Aujourd’hui on dit bi-polaire. « Laisse couler » pose un regard désabusé sur le 21e siècle qui n’est décidément pas fait pour lui…
Pendant 2 ans Bill va ensuite composer (très peu) et réarranger (beaucoup) une quinzaine de titres parmi ses incontournables en réécrivant même parfois des paroles ou des refrains. Tout cela avec de nouveaux musiciens et sa vieille guitare 12 cordes dans un style électro-acoustique en 2007 sous le nom Revisité et en 2008 sous le nom Bouge encore avec 2 titres supplémentaires et une nouvelle pochette signée Zep (le créateur de Titeuf) !
Pour la première fois Bill Deraime publie un double CD en 2010 sous le titre Brailleur de fond chez Dixiefrog où il revisite une nouvelle fois son répertoire passé agrémenté de 5 morceaux en public et d’une reprise du Révérend Gary Davis en duo acoustique avec sa femme Florentine, une manière de se rappeler leurs débuts quand ils sont arrivés à Paris vers 1968.
Les années 2010-2020 sont consacrées à de nombreuses collaborations comme Sanseverino et Fred Chapellier sur l’album Après Demain en 2013.
Puis Nouvel Horizon en 2018 avec une pléiade d’invités tels que Kad Mérad, Bernard Lavilliers, Florent Pagny, Jean-Jacques Milteau, Tryo, Fratoun, Yves Jamait, Joniece Jamison, et à nouveau Sanseverino. Sa nouvelle maison de disques, le label Rupture, a sans doute souhaité ou suggéré tout ou partie de ces collaborations pour relancer la carrière de Bill mais on l’a senti un peu gêné aux entournures dans les émissions radios ou télés où Kad Mérad par exemple était bien plus à l’aise… jusqu’à prendre toute la place !
Adieu vieux monde
En 2021 Bill Deraime annonce officiellement sa retraite sur la page Facebook de son label Rupture qui envoie en édition promo le disque Nouvel Horizon Vol. 2 avec la nouvelle composition « Adieu Vieux Monde » qui sonne comme une épitaphe… Le disque n’est, pour l’instant, toujours pas commercialisé.
Pour conclure ce PORTRAIT de Bill Deraime, voici quelques témoignages d’artistes qui ont eu le plaisir et l’honneur de travailler avec lui :
Kad Mérad (acteur) : Pour moi Bill Deraime c’est vraiment LA voix du blues français. J’ai une histoire avec lui depuis longtemps, j’ai commencé par la musique assez jeune, j’étais batteur-chanteur et à la fin de chaque concert on jouait « Un dernier blues ».
Zep (dessinateur) : Dans les chansons de Bill, il y a une sincérité, une rage qui me touche beaucoup et en même temps il est drôle. C’est assez rare dans la chanson française.
Yves Jamait (chanteur) : C’est d’abord son propos qui m’a plu, ses textes sont super bien écrits, c’est ce qui m’a poussé à écouter du blues à travers Bill. Je ne me suis pas demandé si c’était un bluesman, pour moi c’est un chanteur de chansons françaises.
Mauro Serri (guitariste) : Je l’ai découvert fin 1979 grâce à Jean-Jacques Milteau qui insistait pour que Bill Deraime enregistre car il n’osait pas se lancer ! J’ai aidé à faire sortir le papillon… et je suis devenu son guitariste-orchestrateur car ses chansons c’était un texte sur une grille d’accords avec une mélodie qui se cherchait un peu. Mais il avait « La Voix » et des paroles au contenu très fort ! Je l’ai secondé tout au long de presque quatre décennies et cela fait une grosse partie de ma carrière. Cela m’a permis de m’exprimer et de m’exposer en tant que musicien-arrangeur-choriste… Je me souviens de la création instrumentale du titre « Plus la peine de frimer » en une prise avec l’envie de l’excellence… et avec Eddy Mitchell en cabine qui écoutait pour m’engager… MERCI BILL !!!
Bill Deraime : Le blues c’est la vie, tu chantes ce que tu vis et tu vis ce que tu chantes. C’est le rôle de l’art de transfigurer la souffrance pour en faire de la joie. Que deviendrait-on sans musique ? Je chante tous les jours et je vais toujours mieux après, et j’espère que c’est pareil pour les gens après m’avoir écouté. C’est ça le partage.
Bill Deraime chante simplement SON blues, un blues d’ici, dans l’univers du blues français, où il aura traîné sa voix rocailleuse depuis les années 1970, avec des hauts et des bas, jusqu’à sa retraite officielle en 2021.
En savoir plus sur Bluesactu.com
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
